Les belles valeurs du Stade Rochelais
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Envoyé par:
Le VIP
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Date: Monday 2 August 2010 16:32:31
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Bonjour !
En discutant avec certains joueurs lors de la présentation de l'équipe mercredi dernier, j'ai compris l'intérêt des matchs amicaux. Ils m'ont expliqué que, grosso modo, il y avait plusieurs façons de se faire des passes et de se rentrer dedans comme des bourrins. Les bonnes façons et les mauvaises façons. Et tout cela dépend en fait de la coordination des uns par rapport aux autres. Alors, bien sûr, ça se travaille à l'entrainement. Mais l'entrainement, c'est trop facile. Parce que soit il n'y a personne en face, soit ils sont trop gentils. D'où l'intérêt d'organiser des matchs amicaux avec de vraies équipes en face qui ont la réelle volonté de vous faire perdre le ballon. C'est ce qu'on appelle un entrainement dans des conditions réelles. C'est la meilleure façon de progresser pour être prêt au début du championnat.
« Mais alors, dis-je, si c'est la meilleure façon de s'entrainer. Pourquoi n'organisez-vous pas de tels matchs tous les jours ?
— Parce que c'est épuisant, me répond un joueur, il faut courir, pousser, plaquer en permanence, être à fond pendant 80 minutes. Il faut environ quatre à cinq jours pour qu'un joueur moyen puisse récupérer entre deux matchs !
— Ok... C'est bien dommage. Parce qu'avec l'affluence que vous avez fait dimanche et à 15 euros le billet d'entrée. Des matchs tous les jours, ça vous aurait fait quelques recettes intéressantes. D'ailleurs, pourquoi n'avez-vous pas fait payer l'entrée aujourd'hui ?
— Aujourd'hui ? On ne joue pas ! C'est la présentation de la nouvelle équipe.
— Peu importe ! Avec le monde qu'il y a. Il y avait quelques bénéfices à réaliser ! C'est comme vos copains... Regardez-les, à signer des autographes gracieusement. Bon sang, vous imaginez combien vous vous mettriez dans les poches si vous facturiez 2 euros l'autographe ?
— Je ne suis pas sûr que ça aurait plu aux gens de devoir débourser des sous pour ça. Vous savez, c'est une façon de les remercier de nous avoir soutenus l'année dernière et c'est pour les encourager à continuer cette année... Tout n'est pas monnayable, non plus. »
J'explose de rire. « Tout n'est pas monnayable »... Je n'avais encore jamais entendu une pareille énormité ! Je croise très fort les doigts pour que ce jeune homme fasse une longue carrière dans le rugby, car quand il devra gagner sa vie autrement, il fera face à quelques désillusions... Je ne me souviens plus de son nom. Vous le reconnaitrez peut-être, c'est celui qui avait une chemise blanche...
M'extirpant de la foule de plus en plus oppressante, je me dirige vers quelques dirigeants du Stade à qui personne ne demande d'autographes. Je les félicite pour l'initiative de cette manifestation :
« Et bien dîtes-moi, le public a répondu présent, c'est un vrai succès cette présentation du nouvel effectif.
— Vous savez, me répond Alain Autant, les Rochelais sont très fiers de leur équipe. Ils savent répondre présents à ce genre de manifestations.
— En tout cas, l'idée est bonne. Je la transposerais bien à notre société, mais si l'on devait inviter nos clients chaque fois qu'on recrute de nouveaux employés, on organiserait des réceptions toutes les semaines !
— Et du coup, ça perdrait tout son intérêt. Car l'important dans ce genre de réunion, c'est le caractère événementiel. Nous n'en faisons que deux par an. L'une en début de saison pour présenter les joueurs au public, et l'autre à la fin de saison pour les remerciements de circonstances.
— Justement, reprends-je, si vous appuyez sur le côté événementiel, pourquoi ne faites-vous pas payer l'entrée ? Vous vous privez d'une belle recette, non ? J'en parlais à l'instant avec l'un de vos joueurs. Vous savez ce qu'il me sort ? 'Tout n'est pas monnayable !'
— C'était quel joueur ?
— Je ne sais pas... Un grand... Bien portant...
— Bien portant ? Bon, déjà ce n’était pas Jérôme Jacquet...
— Pourquoi ça ne pourrait pas être lui ?
— Oh pour rien. C'est parti d'une grosse blague entre nous. Un jour, quelqu'un, un peu bourré après une victoire, a lancé : 'Ce qui serait marrant, c'est qu'on recrute un joker médical qui soit toujours blessé !' Et les autres ont fait 'Chiche !' C'est comme ça que Jérôme est arrivé au club !
— Sympa l'anecdote ! Toujours est-il que ce joueur m'a bien fait rire avec sa philanthropie à deux sous !
— Mon pauvre ami ! On voit que vous n'êtes pas dans le milieu du rugby depuis bien longtemps. Vous écoutez-vous parler ? Je crois qu'il est grand temps que quelqu'un vous mette au parfum des valeurs du club dans lequel vous avez investi. Je me porte volontaire et vous expliquerai toute la philosophie du Stade Rochelais pendant le match contre Toulouse vendredi soir, d'accord ?
— Ah désolé ! Je n'irai pas au match vendredi soir... Le boulot, vous comprenez. (Je sors mon agenda) Si vous voulez un rendez-vous, on peut éventuellement se voir dimanche.
— Dimanche, je suis dans ma résidence secondaire de l'île de Ré. Mais venez nous rejoindre. Et amenez votre petite famille avec vous ! Nous avons une piscine, un court de tennis et tout ce qu'il faut pour occuper votre moitié et vos enfants pendant que nous discuterons.
— Ça marche ! Communiquez votre adresse à ma secrétaire et je vous rejoins dimanche ! »
Vous l'aurez compris. Je n'étais pas si occupé que cela vendredi soir et j'aurais très bien pu me rendre au match si j'avais voulu. Après tout, je suis un patron et mon principal travail, hormis faire acte de présence aux réunions de comités de direction, est de déléguer ce que je suis censé faire moi-même à mes sous-fifres. Cela dit, après la bouillie de sport à laquelle j'avais assisté la semaine précédente, conjugué aux multiples bagarres, j'ai décidé de boycotter les matchs du Stade Rochelais jusqu'à ce que les joueurs décident enfin de faire des excuses publiques... ou du moins jusqu'au premier vrai match de championnat le 14 août. J'ai quand même payé cher pour les voir, beaucoup plus cher que vous. Je me suis quand même tenu informé du résultat. 29-10 pour Toulouse. Ils n'ont l'air mauvais ces Toulousains, meilleurs en tout cas que l'équipe d'Angoulême contre qui, pour rappel, on avait accroché le nul 17-17. Ils ont déjà été champions de France ?
Hier, je me rends donc chez Alain, pressé d'en apprendre sur les fameuses valeurs du Stade Rochelais qui ont l'air de faire la fierté de ses dirigeants. La piste d'atterrissage est à peine à 500 mètres de la maison. Très pratique. Après un tour du propriétaire et un déjeuner de bonne facture, les femmes et les enfants s'en vont se promener le long des côtes tandis qu'Alain me tend un verre de Bourbon en guise de digestif :
« Parlons sport ! Que savez-vous exactement à propos de la discipline ?
— Et bien, réponds-je, je sais que le sport est destiné prioritairement aux jeunes à la capacité intellectuelle limitée. Ceux qui n'ont ni la qualité mentale pour comprendre ce qu'est la gestion d'un fonds d'investissement, ni le talent artistique pour devenir chanteur ou comédien populaire. C'est la dernière voie de garage en somme.
— Voyez-vous, ceci n'aurait pas été complètement faux il y a encore quelques décennies. Mais depuis les médias s'en sont mêlés et tout particulièrement les télévisions. Vous savez à quel point les diffuseurs audiovisuels sont influents dans chaque pays, les politiques sont les premiers à l'avoir compris. Toute information, tout individu est crédibilisé dès lors qu'il obtient du temps d'antenne.
— Bien sûr ! Mais ce que je sais surtout, c'est que le droit de passage à la télévision coûte une fortune. Savez-vous le prix d'un spot de 30 secondes sur TF1 ?
— Justement non ! Car le sport a inversé la tendance... Les clubs ne paient pas pour passer à la télé, au contraire, ce sont les télés qui paient ! Pourquoi ? Parce que les clubs drainent autour d'eux un public conséquent que les télévisions — dont le baromètre de santé se jauge à l'audimat — voudraient bien récupérer.
— Intéressant ! Le pouvoir de l'argent, à l'instar du pouvoir politique, s'acquiert donc par la séduction du public ?
— Absolument ! Là est le leitmotiv de tout club exerçant au niveau professionnel. Et pour séduire le public, il faut leur vendre du rêve, de l'adversité, du suspense, de l'enjeu. Les gens paient pour voir ça ! Et ils en redemandent ! Mais par-dessus tout, il faut brosser le public dans le sens du poil. Lui dire qu'il est formidable, lui faire croire que sans lui, on n'aurait pas gagné la finale d'accession. Et il faut organiser à son attention des petites rencontres avec les joueurs comme mercredi dernier, pour qu'il se sente valoriser, qu'il continue de payer pour voir des matchs et pour qu'on puisse récupérer les profits de la vente des matchs aux supports audiovisuels.
— Formidable ! Mais alors pourquoi ce joueur m'a-t-il sorti ce discours gnangnan sur les remerciements qu'ils doivent au public et tout ce blabla démago ?
— Mais parce qu'il s'agit de démagogie justement ! Vous savez quel est le premier exercice travaillé par les joueurs au début de saison, le premier jour après leur retour de vacances ? Ce n'est pas les tests physiques, comme beaucoup le pensent, c'est la communication auprès du public. On leur inculque ce qu'ils doivent répondre en toute circonstance, car le discours de séduction du Stade passe d'abord par eux. Vous savez les gens sont très cons. Ils s'imaginent que c'est en restant le cul assis sur leur chaise, en gueulant après les joueurs et les adversaires, en sifflant après les adversaires, qu'ils peuvent influer sur quoi que ce soit. On apprend aux joueurs à être empathiques avec eux, pour qu'ils ne prennent pas conscience de la médiocrité de leur position, car sans public, pas de droits télés !
— Le problème, c'est que l'équipe n'est pas assez forte pour faire rêver les gens assez longtemps. Sur les 26 matchs de championnat, on va en perdre une bonne vingtaine et redescendre en D2. Comment allez-vous expliquer ça au public ?
— Vous savez, tout n'est que question de positionnement marketing. Au départ, on voulait faire comme tout le monde. Se placer sur le secteur du leadership national pour gagner le championnat. On s'est vite aperçu que ce secteur était bouché. L'idée de génie est venue de Vincent Merling. Il a été le premier à comprendre qu'il serait plus avantageux de se placer sur le secteur de l'exploit ponctuel. C'est moins gourmand en matière de ressources, car il ne nécessite pas des joueurs de premier ordre. Au contraire, plus les joueurs sont mauvais, plus la portée de l'exploit ponctuel est retentissante. Vis-à-vis du public, l'objectif est bien sûr de lui faire prendre conscience de l'infériorité de l'équipe qu'il supporte par rapport aux autres afin qu'il mesure par lui-même la portée de l'exploit quand il a lieu. Ainsi, il est prêt à tout pardonner. Qu'importe de perdre à Bayonne, Bourgoin et Montpellier si l'on a réussi à accrocher Toulouse, Clermont et Perpignan à Deflandre !
On tient là toute la subtilité d'un positionnement sur l'exploit ponctuel.
En plus, d'un point de vue psychologique, le public, souvent RMIste ou Smicard, adore se mettre dans la peau du petit qui fait tomber le gros. C'est une identification à un club qui leur renvoie la métaphore de leur vie lamentable à laquelle ils sont si accrochés. Ils paient pour ça ! Pour nous voir gagner une fois de temps en temps et s'imaginer, par procuration, mettre la même déculottée à leur patron ou à leur référent Pôle Emploi. Voilà toutes les belles valeurs sur lesquelles le Stade Rochelais s'appuie pour s'enrichir.
— Quelle belle histoire ! Honnêtement, j'avais quelques doutes après nous avoir engagés comme partenaires, mais vous m'avez convaincu ! Le Stade Rochelais est un grand club dont la communication et le marketing sont parfaitement gérés et maitrisés ! »
Nous finissons l'après-midi en discutant de tout et de rien. Femmes et enfants revenus de leur promenade, nous rentrons chez nous. Mon esprit est soulagé par les convaincantes explications d'Alain. Conquérir un large public avec de faibles résultats, voilà bien une idée de fou qui, si elle n'est pas sans risque — l'exploit ne se commande pas — , pourrait bien être le coup de poker gagnant d'un club qui m'impressionne de plus en plus par l'originalité de son positionnement stratégique.